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Noir d'Asie : le rallye littéraire 2011-2012
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2 décembre 2011

Notre cadavre exquis (texte complet)

Episode 1 :

- Mais que fais-tu là à cette heure-ci ? soupire Siji en entendant la porte s’entrouvrir. Un gémissement lui répond. Siji se retourne et pousse un hurlement.

Episode 2 :


- Tu m'as fait une de ces peurs... mais qu'as-tu fait à tes cheveux, je n'ai jamais vu une chose pareille, crie Siji, ça ne ressemble à rien !


Polka jubile, elle a réussi son petit effet. Quoique ce ne soit pas très difficile avec Siji, elle a les nerfs à fleur de peau et le moindre petit craquement de plancher lui fait dresser les poils des bras et tomber en pâmoison!


- Il faudra que je refasse un test avec Pollux, pense-t-elle, en posant son sac sur le canapé envahi de coussins, magazines et paquets de biscuits entamés.


- T'énerve pas, Siji, je te rappelle que ce soir, c'est Halloween, je sors avec les potes semer la frayeur dans le voisinage, bouhouh! J'avais pas cours cet aprèm, le prof de physique est malade; du coup j'en ai profité pour soigner mon physique, hi hi !! Qu'est-ce que tu en dis??

- Très drôle, lui répond Siji, qui a retrouvé ses esprits. Et pour ce qui est des vêtements, tu as prévu une tenue de déterrée cousue dans des sacs de pommes de terre en fibres végétales recyclées ou une nuisette en dentelle de Bruges?

- Rien de tout ça...

Episode 3 :

- Pour les vêtements j’ai prévu une robe noire de sorcière, que j’agrémenterai par un pendentif avec une tête de mort, des  gants noirs, un maquillage horrible, qui complètera très bien ma coiffure.

- Je vois le tableau, de la figuration pour Harry Potter en quelque sorte,  ajoute  Siji. Moi, je n’ai pas l’intention de me défigurer pour une soirée, j’ai loué un costume de vampire que je dois simplement enfiler avant de partir. Je te rappelle que nous devons passer prendre Tahma et son copain, ils nous attendent depuis bientôt une demi-heure.

Elle n’a pas fini sa phrase que le téléphone sonne, Siji décroche. C’est Tahma qui commence à s’impatienter. Elle leur dit aussi que son copain Ben n’est toujours pas  revenu d'une mission en Afrique du nord. Je suis inquiète, il ne répond pas sur son portable depuis trois jours, ce qui n'est pas dans ses habitudes.

Ben travaille dans une importante entreprise de travaux publics et des missions fréquentes l’amènent à se déplacer dans les Emirats, les pays du golf ou du Maghreb.

Tahma se souvient qu’il devait faire escale au Caire, cela ne la surprenait pas puisqu’il est grand amateur et collectionneur d’antiquités égyptiennes, d’ailleurs elle pense qu’il traficote un petit peu. Il possède une belle collection de Shaouabti* digne d’un musée et ses conversations téléphoniques laissent à penser que son petit commerce est lucratif.

- C’est bien cela il a fait étape au Caire, j’en suis sûre maintenant, car il m’a dit qu’il pensait se déguiser en momie ou en dieu Seth, le meurtrier d’Osiris son frère. Il a bien dû trouver dans le souk El khalili , l’une ou l’autre de ces tenues.

Entre son silence, son absence et les manifestations qu’il y a actuellement place Tahrir, Tahma est très angoissée.

*Figurines en pierre ou en bois qui se substituent au défunt comme esclaves posthumes

Episode 4 :

A peine Siji a-t-elle reposé le téléphone que celui-ci sonne à nouveau. Mais la sonnerie n’est pas habituelle. Des rugissements lugubres entrecoupés de cris déchirants emplissent la pièce. Polka s’approche.

 -  Tiens, c’est le numéro de Ben, annonce-t-elle nonchalamment.

 -  Décroche vite, hurle Siji en se bouchant les oreilles et en se recroquevillant sur le canapé.

 -  Allô… allô, allô, Ben… Je n’entends rien… Allô… Ben, c’est toi… T’es où ? Au Caire ?... Réponds…

 -  Ecoutez-moi Polka, dit soudain une voix grave et posée. Si vous voulez revoir Ben vivant, allez à Roissy. Apportez dans un sac McDo, trois Shaouabti enveloppées dans du papier d’emballage. Déposez-les dans la poubelle du Starbucks au terminal 1 zone publique niveau départs. Ce soir, à 20h précises. Ne prévenez ni Tahma ni la police, sinon Ben est un homme mort. Venez seule, déguisée et sans portable sinon la transaction ne se fera pas.

 -  Mais vous êtes qui d’abord ? … Allô, allô… Ça a raccroché, dit Polka déconcertée.

 -  Ben est en danger, ajoute-t-elle en regardant Siji toujours prostrée. C’était son ravisseur. Faut apporter trois Shaouabti à Roissy, ce soir. En plus, faut que j’y aille seule et déguisée… Pour le déguisement, ça tombe bien… mais pour le reste…

 -  Mais pourquoi les figurines ? Il y aurait un trésor caché dedans ? demande Siji d’une voix faible.

 -  Comment tu veux que je sache… Je dois appeler Tahma et rien lui dire : quelle galère ! soupire Polka. Je vais être obligée d’inventer des bobards pour pouvoir entrer dans l’appart de Ben et faire diversion pour piquer les figurines… Tu parles d’un programme !

 -  Tu n’as pas la clé ?

 Bien sûr que non… Et je ne vais pas escalader l’immeuble ni crocheter la porte ! On n’est pas dans une série TV !

Episode 5 :

-    Et si on prévenait Bjorn, ton frère. Il n’est plus dans la police depuis l’année dernière mais son agence de détectives marche plutôt bien. Il doit savoir comment faire dans ce genre de situation… propose Siji.

 -   Hors de question ! C’est beaucoup trop risqué. On va se débrouiller seules. lui rétorque Polka.

 Les deux amies élaborent un plan : prévenir Tahma pour lui annoncer qu’elles ne peuvent pas venir à la fête, puis se rendre à l’appartement de Ben et essayer d’obtenir le double des clés auprès de la gardienne…

 Aussitôt dit, aussitôt fait. Tout se déroule comme prévu : les deux amies guettent le départ de Tahma, puis Polka, qui connait bien  madame Cerisier la gardienne, se fait remettre les clés.

Une fois dans l’appartement, les filles découvrent la collection de statuettes disposées sur l’étagère du salon. Elles en choisissent trois au hasard et repartent rapidement.

 Siji et Polka sont maintenant dans le taxi qui les amène à Roissy.

Siji tripote nerveusement l’anse du sac contenant les trois Shaouabtis en se demandant comment agir pour piéger les ravisseurs sans que la situation de Ben ne se détériore.

Episode 6 :

Polka la regarda, goguenarde. « Pas de panique ! Passe-moi le sac. Seule une personne doit apparaître. »

Elle se renfonça soudain dans son siège, cinglée de sa ceinture, silencieuse et songeuse. « Pourquoi  le ravisseur n’avait-il pas avisé Tahma, amie et colocataire de Ben ? » s’interrogea-t-elle. Son regard erra sur le pare-brise et pointa le rétroviseur. Les yeux du chauffeur, scrutateurs, immobiles et incisifs, la fixaient, avant de fuir sur la route.

Intriguée, elle trouva soudain que le taxi, glacial, poussif et malodorant, tardait à atteindre La Courneuve, et l’heure tournait. Elles n’arriveraient jamais avant 20 h à l’aéroport. Le conducteur tentait-il de les retarder ?

Les statuettes dans le sac s’entrechoquaient. Siji, les yeux arrondis par l’angoisse, le vernis et les ongles rongés, triturait le papier et l’imbibait de sa moiteur palmaire. Polka aperçut le regard de cobalt de l’une d’elles, celle qu’elle trouvait la plus jolie : elle lui rappelait la profondeur du bleu des yeux de son frère, Bjorn. Bjorn, qui avait été affecté à la sécurité de l’Ambassade d’Egypte, avant son départ précipité de la police.

 Episode 7 :

- Siji, écoute-moi bien, murmura Polka sur le ton d’une conspiratrice. Nous devons quitter cette voiture, coûte que coûte ! Nos vies sont en danger… Ce type n’est pas chauffeur de taxi. J’en suis sûre. Je l’ai croisé à l’ambassade, le jour de mon anniversaire, en allant rejoindre Bjorn. Je m’en souviens bien car, ce jour-là, mon frère m’a offert une statuette un peu bizarre qui différait des autres par l’absence de texte sur les jambes. Aucune formule appartenant au chapitre 6 du Livre des Morts n’était inscrite. De plus elle ne croisait pas les bras et aucun attribut n’apparaissait. Alors, tu comprends, ça m’a marquée. En vérité, cet homme est un professionnel de la gâchette qui servait de garde du corps à un chercheur universitaire, en mission scientifique à Paris ; un égyptien qui travaillait pour le bureau culturel, si mes souvenirs sont bons.

- Qu’est-ce que tu racontes ? Si tu essaies de me ficher la frousse, c’est réussit. Je ne trouve pas ça drôle ! articula son amie avec une note de terreur dans la voix.
La panique commençait à la gagner. Le teint livide, au bord de l’hystérie, Siji se cramponnait à Polka comme à une bouée de sauvetage.

- Je t’expliquerai plus tard. Ce n’est pas le moment de flancher ou de se laisser impressionner par une crapule. Il faut vraiment qu’on s’échappe d’ici. A trois, on saute, chacune de notre côté.

- On… on va se tuer ! Je ne peux pas… je… je ne veux pas mourir… articula avec peine Siji, soudain transformée en momie.

- Tu veux sauver Ben… Alors bouge-toi ! Allez, courage ! A trois : Un, deux, trois…
Dans un ensemble parfait, elles se projetèrent contre les portières, mais rien ne se passa. Elles avaient beau se débattre comme des furies, ces maudites portes restaient condamnées. Elles étaient bel et bien prisonnières. Un rire sonore retentit à leurs oreilles.

- Alors, mesdemoiselles, vous voulez déjà me quitter, fit l’homme en pilant net et en se retournant, content de son effet.

- Que voulez-vous ? Où vous emmenez-nous ? Lança avec agressivité Polka qui avait repris son self-contrôle.

- Ne vous inquiétez pas, vous allez vite le savoir. Terminus, tout le monde descend !
Polka regarda autour d’elles avec méfiance. La voiture était stationnée sous un grand hangar, à peine éclairé par une lumière diffuse, sans aucune indication qui aurait pu les aider à savoir où elles se trouvaient. La portière droite s’ouvrit soudain et Ben apparut, libre de toute entrave. Son air coupable en disait long sur le rôle qu’il avait été amené à jouer ; ce qui mit Polka dans tous ses états, alors qu’elle s’évertuait à réanimer Siji, à moitié évanouie.

- Bon sang, Ben ! T’es devenu complètement fou ? Qu’est-ce que c’est que cette comédie ? Dans quel pétrin t’es-tu mis ? explosa son amie.

- Ne conclus pas trop vite, je vais t’expliquer. Je n’y suis pour rien. Sans le savoir, je suis tombé dans un piège… un véritable engrenage dont je ne peux me dépêtrer tout seul.

- J’ai cru que tu avais simulé un enlèvement… Qu’aurais-tu fait si j’avais averti Bjorn ? Tu serais dans de sales draps.

- Pas question de faire intervenir ton frère ; ce serait beaucoup trop dangereux. Il est le roi des catastrophes assurées. S’il savait dans quelle situation je me trouve, je perdrais la face devant mon meilleur copain qui plus est, est un ancien flic, et je n’aurais plus aucun alibi.

- De quoi parles-tu ? S’agit-il d’un trafic de drogue, de pierres précieuses ?

- Ecoute, nous avons peu de temps, fit Ben, en l’attirant à part. Comme tu sais, je sers d’intermédiaire pour l’achat de Shaouabtis ou de Oushebtis… Seulement, sans le vouloir, j’ai mis les pieds dans une fourmilière et j’ai maintenant un gang de trafiquants sur le dos. Ces gens-là sont sérieux. Tu as deviné juste. Non seulement je risque ma peau pour quelques pierres, en prime, je vais être accusé de trafic d’œuvres d’art, alors que je suis innocent.

- Bon, on a assez ri, intervint le faux chauffeur. Nous n’avons pas toute la nuit. Donnez-moi les statuettes.

- Fais ce qu’il te dit, Polka. On n’a pas le choix.

- Qu’est-ce que c’est que ça ? Jeta furieusement l’homme au parfait profil de gangster, vous vous êtes fichus de nous. Ce n’est pas ce qu’on vous a demandé. Où se trouvent les shaouabti en bronze et en faïence bleue ? Je vous préviens, si dans deux heures je n’ai rien d’autre en mains que ces poupées pour touristes, vous pouvez dire adieu à vos amis ici présents. En gage de notre bonne volonté, cette petite personne restera notre otage pendant que vous irez récupérer les autres, ajouta-t-il en se tournant vers Polka et en désignant Siji qui, trop stupéfaite, préféra se réfugier pour la seconde fois dans l’inconscience.
C’est alors qu’un certain chercheur universitaire, égyptien, travaillant pour le bureau culturel de l’ambassade d’Egypte apparut dans la lumière et fit un pas vers eux.

 Episode 8 :

 Sa silhouette se découpait à contre jour au milieu des carcasses de machines abandonnées. La luminosité crue d'un unique néon laissait ses traits dans l'ombre, et soulignait l'arme qu'il tenait négligemment pointée vers le sol. Un tantinet théâtral, se dit Polka, tandis que le nouveau venu s'adressait au faux chauffeur de taxi. Quelques phrases tranchantes, dans une langue qui évoquait davantage le coréen que l'arabe. Le faux chauffeur traduisit immédiatement :

 - Si vous n'êtes pas revenus dans deux heures, il coupera un doigt de votre amie. Et un autre toutes les demi-heures.

 Un joyeux klaxon l’interrompit, venant de l'autre côté du bâtiment.

 - Vite, enferme-les là-dedans ! Ordonna le prétendu diplomate, dans un français dépourvu de tout accent.

 Ben, Siji et Polka furent poussés dans un cagibi obscur, le claquement d'une serrure résonna derrière eux. Accablée, Siji s'effondra à terre, tandis que Ben secouait la porte métallique. Polka chercha à distinguer quelque chose dans les ténèbres. Elle discerna bientôt une faible lueur, venant d'une fente dans le mur. En y collant l'œil, elle apercevait l'extérieur du bâtiment: une camionnette rouge vif; un homme à la mine patibulaire, à la carrure et au nez cassé de boxeur, qui tirait du véhicule une pile de cartons plats; les deux gangsters, armes hors de vue, réceptionnaient ensuite les cartons. Et lorsque la fourgonnette tourna au coin du hangar en ruine, elle crut déchiffrer une inscription sur ses flancs: «Aux délices de Maryse – Pâtissier – Chocolatier - Traiteur».

 - Siji, Polka! J'ai réussi à ouvrir la porte, murmura Ben d'un ton pressant. Nous devons nous échapper.

 - Comment as-tu fait? C'était fermé à clé!

 - J'avais une épingle à cheveux sur moi, j'ai forcé la serrure.

 - Ne perdons pas de temps, allons-y! coupa Siji, ragaillardie à l'idée d'une fuite. Joignant le geste à la parole, elle prit la tête du petit groupe, en direction de l'immense portail béant. Ils débouchèrent sur une vaste cour dégagée, où brillaient encore par endroit les derniers rails d'une voie ferrée démontée depuis des décennies. Mais elle devait toujours mener hors de cette zone industrielle désaffectée! A ce moment, des cris et un bruit de course retentirent. Ils étaient poursuivis! Ils s'élancèrent vers un passage sombre, les deux gangsters à leurs trousses. Mais tout à coup, jaillies de l'encoignure d'un mur, trois silhouettes se matérialisèrent près d'eux, armées, cagoulées et vêtues de noir.

 - Arrêtez-vous! Lâchez-vos armes!

 Comme pris de court, les deux hommes obéirent. D'un geste, l'un des nouveaux venus fit signe à Polka et ses amis, médusés, de les suivre. Ils les reconduisirent à l'intérieur du hangar, les firent grimper un escalier métallique rouillé, ouvrirent une porte. La pièce dans laquelle ils leur enjoignirent d'entrer était propre. Quelqu'un avait disposé des chaises autour d'une grande table. La fameuse réunion des suspects, où le nom du coupable sera révélé, songea Polka. Mais qui donc joue le rôle d' Hercule Poirot?

 Dernier épisode :

 Au moment où ils pénétrèrent dans ce bureau, un claquement sourd retentit. Etait-ce une détonation ? Une porte refermée brutalement ? Ils ne le sauront jamais…

Polka s’éveilla en sursaut. Elle s’était endormie sur son lit. Des romans policiers étaient éparpillés autour d’elle et son ordinateur portable en veille jouxtait ses pieds. Quelques minutes s’écoulèrent. Elle éprouva des difficultés à reprendre ses esprits. Quelle imagination fertile ! Elle ne pensait pas qu’écrire une nouvelle policière l’embarquerait dans de telles aventures nocturnes ! Elle se leva et se dirigea vers la cuisine pour boire un verre d’eau. Son regard fut attiré par un rai lumineux qui passait sous la porte de la salle de bain fermée. Elle ne se souvenait pas être allée dans cette pièce avant de s’installer sur son lit pour travailler. Soudain, elle entendit un objet tomber sur le sol. Son sang se glaça. Le cauchemar recommençait ! Elle avança à pas feutré, tremblant de tous ses membres. Lorsqu’elle eût atteint le fond du couloir, elle perçut de légers déplacements derrière le mur. Elle s’empara alors de la poignée, retint son souffle et ouvrit brusquement la porte pour découvrir ce qui se cachait derrière. Quelle stupéfaction ! Ben s’apprêtait à entrer dans la douche. Il sursauta en voyant Polka. Celle-ci se mit à rire en repensant à l’angoisse qu’elle avait éprouvée. Ben lui expliqua qu’il l’avait trouvée endormie en rentrant du travail et qu’il n’avait pas voulu la réveiller. La frontière entre réalité et fiction est parfois bien ténue...

 

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